Des éleveurs et leurs vaches victimes d’éoliennes « tueuses » à Nozay ?
Depuis 2012, un parc éolien situé à Nozay, au nord de Nantes, est suspecté d'être la cause de graves problèmes de santé chez les animaux comme chez les humains.

C’est un feuilleton à rebondissements sans fin qui se joue depuis 2012 dans la région de Nozay, à une trentaine de kilomètres au nord de Nantes (Loire-Atlantique). Les protagonistes sont de trois types : des machines d’un côté, des humains et des animaux de l’autre.
Non, il ne s’agit pas du dernier Terminator en date… quoique les principaux personnages concernés pourraient être tentés de renommer ainsi le parc éolien des Quatre seigneurs qui, depuis sa construction, leur pourrit littéralement la vie.
Et le plus mystérieux dans cette histoire, c’est que lorsque les éoliennes sont à l’arrêt ou que les éleveurs s’éloignent de chez eux, leurs problèmes disparaissent…
4 000 euros par an pour une éolienne sur leurs terres
Le couple Didier et Murielle Potiron, comme leur voisine Céline Bouvet, sont éleveurs de vaches laitières, installés de longue date sur ce secteur de Nozay. Lorsqu’en 2006, il a été question de construire un parc éolien de huit machines, à cheval sur Nozay, Puceul, Saffré et Abbaretz, ils ne s’y sont absolument pas opposés. Ils ont même accepté que des éoliennes soient implantées par ABO Wind (le promoteur du projet) sur certaines de leurs parcelles.
Dans un article de L’Eclaireur du 20 mai 2016 qui leur était consacré, ils expliquaient :
On parlait peu, dans la région, des parcs éoliens et des nuisances possibles. Nous avons d’abord pensé à l’environnement et aussi à l’avantage financier : nous recevons 4 000 € par an car nous sommes propriétaires-exploitants. Nous avons un bail de 18 ans.

Des problèmes dès le début du chantier en 2012
Les éleveurs ont toutefois déchanté dès le démarrage du chantier, en 2012. « On a observé une baisse de la production du lait : en fait, les vaches effectuaient moins de passages au robot de traite. La qualité du lait était en baisse aussi. On a également constaté de gros problèmes de vêlage chez des animaux stressés », explique Didier Potiron.
On pensait que cela pouvait venir de l’alimentation, alors on a fait venir un nutritionniste. Ensuite, on a pensé à une maladie inconnue… »
Ces hypothèses ont rapidement été écartées par les analyses effectuées par des spécialistes. Avec la mise en service des éoliennes en juillet 2013, la situation s’aggrave. Les vaches refusent net d’entrer dans les bâtiments. Chez leur voisine Céline Bouvet, le scénario se répète.
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Un géobiologue repère des failles d’eau
Le promoteur ABO Wind est informé de la situation mais ne se déplacera jamais. A la place, il met les éleveurs en relation avec un géobiologue, expert de l’impact de l’environnement sur le vivant.
Selon le géobiologue venu sur place, le creusement des fondations des éoliennes aurait, d’emblée, entraîné « une variation importante du débit de l’eau dans ces failles rocheuses, engendrant du même coup des perturbations magnétiques ». La mise en activité des éoliennes a encore renforcé les perturbations, auxquelles s’ajoutent potentiellement des infrasons produits par les engins.
« Un mal-être dès qu’on entre dans le bâtiment de traite »
Les agriculteurs se disent « au bout du rouleau », tant physiquement que mentalement. Ce que comprend parfaitement Olivier Ranchy, géobiologue salarié de la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire, venu sur l’exploitation voici quelques semaines : « J’y suis allé juste une heure ou deux, pour discuter avec les éleveurs et mon collègue géobiologue Luc Leroy, qui suit le dossier depuis longtemps. Dès que je suis entré dans le bâtiment de traite, j’ai ressenti un mal-être. J’avais les jambes lourdes, l’énergie coupée. L’eau est conductrice des courants vagabonds, donc il n’est pas étonnant qu’avec les sols actuellement très humides, dans un bâtiment avec beaucoup de structures métalliques, ces perturbations se ressentent aussi fortement. Les animaux ont quatre pattes et sont donc encore plus sensibles. »
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Plus de 320 bovins morts en sept ans
Au total, depuis la mise en service du parc éolien, exploité par l’allemand KGAL, plus de 320 bovins sont morts sur l’exploitation de Didier et Murielle Potiron. Soit une moyenne de 50 par an depuis 2012, contre « 10 à 15 par an auparavant » ! Le couple a aussi perdu un chien, victime de crises d’épilepsie à répétition.
Chez Céline Bouvet, les vaches refusent de traverser la route à certains endroits, « comme si elles étaient stoppées par une barrière invisible ». L’exploitante a perdu une quarantaine de bêtes.
Mais ces perturbations ne touchent pas que les animaux. Très vite, les Potiron, Céline Bouvet et certains autres riverains du parc, se sont plaint de divers maux auxquels ils n’étaient pas sujets jusque-là :
C’est une sensation de très grande fatigue, qui s’en va dès qu’on s’éloigne, mais aussi des nausées, des céphalées, et même une sensation de brûlures aux yeux pour Murielle. Tous les tests médicaux ont été faits mais on ne trouve rien ! »
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Les humains malades aussi
Murielle Potiron, déjà épileptique avant cela, a vu ses crises augmenter en fréquence et en violence. Leur fille enceinte a quitté la maison pour pouvoir se reposer. Ils souffrent tous aussi d’inflammations à répétition, comme leurs vaches, dont les pattes enflent, les rendant boiteuses.
Selon la direction du vent, mais aussi l’humidité ambiante, le phénomène varie en intensité. En ce début d’automne 2019 très pluvieux, Didier Potiron, contacté le 21 octobre, assure qu’ils ont « des inflammations partout depuis une quinzaine de jours. J’ai aussi mal à la tête tous les jours. »
Avec mon épouse, on est partis trois jours de chez nous pour respirer un peu. Ça nous a fait du bien, mais dès qu’on revient, ça recommence. »
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Tout s’améliore quand les éoliennes ne fonctionnent pas…
Selon les éleveurs et les géobiologues qui se sont déplacés sur leur exploitation depuis sept ans, la meilleure preuve du lien de cause à effet entre le parc éolien et leurs maux est là : dès qu’ils s’en éloignent, leur santé s’améliore.
Effet placebo, diront certains. Sauf qu’il en va de même pour les animaux. Or, comme le note Serge Boulanger, secrétaire général de la préfecture de Loire-Atlantique :
L’effet placebo ne marche pas sur les animaux. Les animaux ne trichent pas.
Et une panne de quatre jours du parc éolien, survenue en 2017, avait engendré des effets éloquents, prouvés par l’organisme de contrôle du lait et les chiffres du robot de traite.
Nous avions fait venir un huissier pour constater la mise hors tension du parc. Pendant cette courte période, les vaches revenaient au robot de traite, le troupeau s’est enfin comporté normalement, Et nous, on a retrouvé le sommeil. »
Une nette amélioration constatée également au sein du troupeau de Céline Bouvet.

Le rapport de cause à effet jamais établi scientifiquement
Une vingtaine d’études ont été réalisées ces sept dernières années sur les deux exploitations, dont celles du GPSE (Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole) intervenu entre 2015 et 2016 à la suite d’une plainte déposée par les éleveurs en préfecture.
Elles ont mis hors de cause les équipements des deux exploitations. Mais aucune n’a permis d’aboutir à une conclusion scientifique établissant avec certitude un lien de causalité entre le fonctionnement du parc éolien et les souffrances vécues par les humains et les animaux.
Interrogé par nos soins, le président du GPSE Claude Allo se sent lui aussi face à une impasse :
Nous avons multiplié les mesures électriques sur place et nous n’avons pas trouvé de courants parasites. On a aussi fait aussi mesures d’infrason, le BRGM a enquête pour savoir s’il y avait des modifications du sous-sol, des analyses chimiques ont été effectuées pour savoir si la composition de l’eau avait été modifiée… On n’a strictement rien trouvé. Pourtant les faits sont là, et ils sont indiscutables.
Néanmoins, Arlette Laval, expert zootechnicien et vétérinaire auprès du GPSE, insiste dans le rapport qu’elle a établi en 2016 sur « la coïncidence chronologique » entre les troubles de santé des animaux avec les travaux d’installation des éoliennes. « Nous savons qu’il s’est passé quelque chose mais ne savons pas quoi ni comment le régler », glisse celle qui était plutôt sceptique au départ.

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Une expertise financée par l’Etat début 2019
Beaucoup d’espoirs avaient été placés sur la dernière étude en date, en février-mars 2019 : la première à être financée par l’Etat, dans un souci de véritable indépendance.
Annoncée comme très approfondie, elle a porté principalement sur l’équipotentialité des éoliennes : le câble, en cuivre non gainé, de mise à la terre qui les relie toutes entre elles – fait d’ailleurs assez singulier puisque dans la plupart des autres parcs, chaque machine a sa propre mise à la terre – a été coupé en différents endroits, pendant plusieurs jours.
Les éoliennes ont toutefois continué à tourner, l’arrêt total du parc étant considéré à ce moment-là comme non nécessaire… et surtout très coûteux : l’exploitant réclamait 10 000 euros d’indemnités par jour d’arrêt.
Dans le même temps, des études vétérinaires du comportement des bêtes mais aussi électriques, devaient être menées. Au final, les animaux ont affiché un comportement plus anormal que jamais !

Les éoliennes mises hors de cause
En septembre dernier, le verdict tombe : les éoliennes sont mises hors de cause. Selon Serge Boulanger, les conclusions se basent notamment sur les rapports médicaux des riverains qui ont été suivis par le CHU de Nantes dans le cadre d’une étude épidémiologique commandée par l’ARS et sur le rapport vétérinaire effectué par l’école Oniris.

Un câble 20 000 volts suspecté
La préfecture se dit cependant décidée à ne pas lâcher l’affaire et annonce une nouvelle piste d’étude « au plus tard pour le premier trimestre 2020 » : celle du câble 20 000 volts qui relie le parc éolien au réseau Enedis.
« Ce câble fait 12 km de long et passe sous les terrains des éleveurs, à proximité d’abreuvoirs et de zones où les animaux sont parqués. C’est une piste sur laquelle on n’avait pas encore travaillé », note Serge Boulanger.

Didier Potiron, cependant, dit ne plus y croire : « Le problème, c’est qu’on parle ici uniquement du câble qui relie le poste de livraison électrique au réseau Enedis. Or, il y a aussi un câble électrique enterré qui relie les éoliennes au poste de livraison… Et celui-ci appartient à l’exploitant du parc, KGAL. Rien n’est prévu pour tester cette portion de câble. »
Une plainte contre X
Désabusé, l’agriculteur ne voit désormais « plus que deux solutions : soit on arrête le parc éolien, soit on arrête l’exploitation agricole« .
Des propos dont on trouve l’écho à la préfecture. Serge Boulanger déclare en effet :
Tant qu’on aura cette épine dans le pied, on est en difficulté vis à vis des autres projets éoliens en cours dans le département. On a une multitude de parcs pour lesquels on ne rencontre aucun problème, mais celui-là jette une ombre sur la filière éolienne. Alors si à terme, il faut supprimer ce parc du paysage, il vaudra mieux le faire. »
En attendant, l’avocat des deux élevages, Maître Echezar, annonce son intention de porter plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui. Une plainte qui devrait être officiellement déposée devant le tribunal pénal d’ici le 15 novembre, et qui vise indirectement la ferme éolienne des Quatre seigneurs, la préfecture de Loire Atlantique et Enedis. Il utilisera notamment les données enregistrées en 2017 pendant l’arrêt des éoliennes et qui avaient fait l’objet d’un constat d’huissier.
L’objectif est « d’obtenir l’arrêt du parc éolien et des dommages et intérêts pour les pertes subies », précise Didier Potiron. Le couple Potiron avait déjà, en juillet 2017, déposé deux autres plaintes, cette fois devant le tribunal de grande instance, pour tenter de mettre fin au bail emphytéotique qui le lie à la ferme éolienne (l’une des 8 éoliennes étant implantée chez lui). Le jugement de ces premières plaintes est attendu courant 2020.
Pour retrouver l’intégralité de l’enquête, c’est ici : Champs et ondes électromagnétiques : le nouveau scandale environnemental ?