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une raison impérative d’intérêt public majeur

Espèces protégées et éolien : le contexte énergétique constitue un motif impératif d’intérêt public majeur pouvant justifier une dérogation (cour administrative d’appel de Nantes)

Par un arrêt du 5 mars 2019 (n° 17NT02791 et 17NT02794), la cour administrative d’appel de Nantes a procédé à une application in concreto particulièrement motivée de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, afin de justifier un arrêté de dérogation « espèces protégées ». Cette motivation est notamment fondée sur les objectifs nationaux et régionaux en matière de production d’énergie renouvelable.

En l’espèce, le préfet du Morbihan avait délivré un arrêté au titre de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, autorisant de déroger aux interdictions de protection des espèces protégées pendant la durée d’exploitation d’un parc éolien en région Bretagne.

Cette décision ayant été annulée par un jugement du tribunal administratif de Rennes, tant la société exploitante que le ministre de la transition écologique et solidaire en ont relevé appel.

Dans un premier temps, la cour administrative d’appel commence par reprendre le considérant de principe issu de la décision du Conseil d’Etat du 25 mai 2018 (n° 413267), qui procède du raisonnement en deux temps suivant :

"Il résulte [des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement] qu’un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaite et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. "

Faisant application de ce considérant, l’arrêt est intéressant en ce qu’il est particulièrement motivé, et ce à plusieurs égards :

• En premier lieu, et pour la première fois en appel, le juge administratif, pour démontrer les motifs impératifs d’intérêt public majeur, se fonde sur le contexte énergétique : sont ainsi rappelés les objectifs de production d’énergie renouvelable de la loi Grenelle 1 du 3 août 2009 ainsi que de la loi de transition énergétique du 17 août 2015. Est également mentionné une décision du Conseil européen du 4 février 2011, qui a « souligné la nécessité notamment de développer des sources d’énergies renouvelables en concurrence avec les sources d’énergie traditionnelle ». Le juge rappelle par ailleurs que le projet éolien contribue ainsi « à la réduction de l’émission des gaz à effets de serre et à la lutte contre le réchauffement climatique ». Enfin, de manière circonstancié, il est souligné la fragilité de l’approvisionnement électrique de la région et les objectifs du pacte électrique breton pour y remédier.

• En deuxième lieu, le juge rappelle les différentes implantations envisagées et les contraintes existantes du projet pour en conclure que le préfet n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant qu’il n’existait pas de solution satisfaisante autre que l’implantation choisie du projet.

• Puis il reprend en détails les espèces relevées au sein du dossier de demande de dérogation, avant de rappeler avec précision les différentes mesures compensatoires prévues par l’exploitant ainsi que leur analyse par les services instructeurs et le commissaire enquêteur.

Au terme de cette analyse détaillée, l’arrêt en conclut que : " compte tenu des impacts résiduels du projet, après mesures de réduction, de compensation et d’accompagnement, la dérogation accordée à la société ne peut être regardée comme nuisant au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ". C’est donc à tort que, pour annuler l’arrêté en question, le tribunal administratif s’est fondé sur la méconnaissance des dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement.

Dans un second temps, sur les autres moyens soulevés par les requérants devant le tribunal administratif, la cour administrative d’appel reprend également le considérant de principe sur la motivation des actes administratifs, issu de la décision du Conseil d’Etat du 22 juillet 2015 (n° 385816), selon lequel :

" Toutefois, [les dispositions de la loi du 11 juillet 1979] n’impliquent ni que l’administration prenne explicitement parti sur le respect par le projet qui lui est soumis de chacune des règles dont il lui appartient d’assurer le contrôle ni qu’elle retrace dans la motivation de sa décision les étapes de la procédure préalable à son édiction. "

Là encore, en rappelant avec précision les termes de la décision du préfet, le juge conclut que la motivation était suffisante et que, au regard des autres moyens et de ce qui précède, c’est à tort que le tribunal administratif a annulé l’arrêté litigieux. Le jugement est donc annulé en tant qu’il a annulé cet arrêté.

En conclusion, au regard du caractère sensible des dérogations « espèces protégées », notamment en matière de projets éoliens, la cour administrative d’appel de Nantes s’est ici efforcée d’apporter une motivation particulièrement détaillée, en appuyant tant sur le contexte énergétique que sur les mesures de réduction, de compensation et d’accompagnement prévues par l’exploitant.

Camille Pifteau

Avocate – Cabinet Gossement Avocats

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Note du 11 juin 2018 : Interdiction de destruction d'espèces protégées : le Conseil d'Etat précise les conditions de dérogation

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