Eoliennes et oiseaux: le problème est plus sérieux qu’il n’en a l’air

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Eolienne à Haldenstein, dans le canton des Grisons, 15 avril 2015. 
© GIAN EHRENZELLER / KEYSTONE

4 minutes de lecture

Raphaël Arlettaz
Publié jeudi 19 janvier 2017 à 18:22.

OPINION

Eoliennes et oiseaux: le problème est plus sérieux qu’il n’en a l’air

Il est facile d’ironiser sur les quelques volatiles tués par les pales des éoliennes. Mais pour certaines espèces, telles le gypaète barbu, une mortalité en très légère hausse est une menace pour leur survie, explique Raphaël Arlettaz, professeur à l’Université de Berne

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Dans Le Temps du 29 novembre, on critique les ornithologues qui feraient du foin pour quelque 20 pauvres volatiles tués par éolienne bon an mal an. Certains promoteurs et politiciens considèrent que ce ne sont là que «peanuts, une éolienne tuant moins qu’un chat», pour faire bref.

Le problème n’est pas tant la mortalité induite par les éoliennes, mais le fait qu’il s’agit d’une nouvelle cause de mortalité qui va s’ajouter aux pièges déjà existants: trafic routier et ferroviaire ainsi que bâtiments vitrés, en accroissement constant. Dans un monde de plus en plus technique, les populations d’oiseaux sauvages ne cessent pour la plupart de diminuer, essentiellement par perte d’habitats naturels. Comme il n’est pas possible d’augmenter leur taux de reproduction, pour conserver l’équilibre démographique, on ne peut que tenter de réduire les facteurs de mortalité.

Pas de soucis à se faire pour les pinsons

Bien sûr, les différentes espèces d’oiseaux ne sont pas égales face au danger représenté par les éoliennes. Le pinson des arbres par exemple, espèce abondante dans toute l’Europe, sentira à peine les pertes occasionnées par quelques milliers de destins foudroyés lors des déplacements migratoires. Il en va tout autrement des grands voiliers, naturellement rares, comme la cigogne, le milan royal, l’aigle royal ou le gypaète barbu (soit dit en passant rarement victime des chats!).

Prenons le cas du gypaète barbu, réintroduit à grands frais dans les Alpes, entre autres par le WWF suisse – qui semble soudain aveuglément assujetti à l’industrie éolienne. Selon nos modèles démographiques, une faible augmentation de mortalité pourrait avoir des conséquences fatales pour son avenir.

Le gypaète menacé

Les quelque 200 gypaètes barbus adultes qui forment actuellement la population alpine 30 ans après les premières réintroductions, affichent un taux de survie annuelle de 96%. C’est-à-dire que 8 de ces 200 adultes meurent «naturellement» chaque année. Or, selon nos projections démographiques, si 13 adultes au lieu de 8 devaient périr bon an mal an, soit seulement 5 de plus, par exemple tués par les éoliennes projetées sur les cols et les crêtes, et ceci dans les Alpes prises dans leur ensemble, on devrait se faire du souci pour l’avenir de notre prince des airs réhabilité à grands frais!

Nos études à l’Université de Berne ne se contentent pas d’analyser les problèmes. Nous avons montré qu’une manière de compenser la mortalité supplémentaire causée par les éoliennes consisterait à assainir les milliers de pylônes électriques suisses mal conçus qui électrocutent des centaines, sinon des milliers de grands oiseaux (cigognes, rapaces diurnes et nocturnes, etc.). Justement ceux dont la reproduction est trop lente pour équilibrer une nouvelle source de mortalité. Las, cette stratégie compensatoire n’a jusqu’ici trouvé grâce ni auprès de l’administration fédérale, ni guère d’ailleurs auprès des ornithologues, alors qu’elle serait à la fois pragmatique, car facile à mettre en œuvre, et doublement efficace si l’on songe aux pertes économiques que les cas d’électrocution entraînent sur les réseaux de distribution.

Chauves-souris affectées aussi

Un autre groupe est potentiellement affecté par les éoliennes: les chauves-souris. Une étude d’un de nos étudiants en master a montré qu’en ne les faisant fonctionner, nuitamment, que lorsque le vent souffle à plus de 5 m/s on éviterait l’essentiel des collisions avec les pales: en effet les chauves-souris ne sont pratiquement pas actives à la hauteur des pales lorsque le vent souffle au-delà de cette valeur. Les chiroptères se rabattent alors vers le sol et le couvert des arbres pour chasser. La perte de production d’énergie entraînée par cette mesure toute simple est infime car les éoliennes ne produisent que très peu d’électricité à basse vitesse.

Le développement de l’éolien se doit non seulement d’appliquer le principe de précaution, normalement cher aux élus écologistes, mais également faire l’objet d’une stricte planification du territoire. D’autant plus qu’il s’agit d’infrastructures techniques qui sont souvent implantées dans des paysages encore relativement intacts et hors des zones constructibles.

Espace alpin des grands rapaces

La solution pour assurer la coexistence entre, par exemple, les milans, les cigognes, les craves, les aigles, les gypaètes et les éoliennes consiste à éviter de les ériger dans les secteurs les plus fréquentés par ces grands voiliers. Nous sommes justement en train de construire des modèles prédictifs de l’utilisation de l’espace alpin par ces rapaces.

Une fois croisés avec les cartes du potentiel éolien, ces modèles spatiaux devraient permettre de définir des zones et des conditions à éviter absolument pour l’implantation des turbines, en raison de conflits potentiels trop élevés. En d’autres termes, on pourrait ainsi véritablement planifier le déploiement de l’industrie éolienne au lieu, comme c’est le cas actuellement, de réagir au coup par coup lorsqu’un projet sort des tiroirs. Notre groupe de recherche est en quête de financement pour une telle modélisation sur l’ensemble des Alpes suisses. Voilà donc une approche pragmatique et soucieuse du développement durable.

Nos élus verts sont très engagés dans la promotion des énergies renouvelables, mais il ne faudrait pas pour autant qu’ils délaissent la protection du paysage, de la nature et de la faune. Qui s’en soucierait sinon?


Raphaël Arlettaz, professeur à l’Université de Berne.

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